Rotary interview: Bertrand Levrat

venerdì 4 febbraio 2022

Notre ami Rotarien Bertrand Levrat dirige les Hôpitaux Universitaires de Genève (HUG) depuis 2013, à savoir le plus grand hôpital universitaire de Suisse qui emploie 13500 collaborateurs/trices. Apprécié pour son dynamisme, son esprit fédérateur et son altruisme, sans oublier son vif intérêt pour l’innovation, Bertrand démontre à l’envi sa capacité de gestion d’une crise majeure, en plus de savoir mener à terme des projets complexes et d’envergure. Notre ami Bertrand est membre du RC Genève depuis 2006.

Depuis la propagation de la pandémie COVID et de ses différents variants, l’ensemble du personnel des HUG est mis à rude épreuve et vit des heures difficiles, à l’instar d’ailleurs de celui de tous les hôpitaux de Suisse. En tant que directeur général, quelle stratégie de crise as-tu mise en place et pour atteindre quels objectifs ?

Il faut tout d’abord rappeler qu’il y a tout juste deux ans, nous ne savions rien de la COVID. La communauté scientifique, qui compte de nombreux représentants des HUG, a fait des efforts extraordinaires pour comprendre cette pandémie, puis mettre en place des protocoles médicaux soignants pour sauver le maximum de patients. De leur côté, les HUG, en tant qu’institution de santé, se sont réinventés pour accueillir les patients/es COVID, tout en assumant leur mission de soigner tous les autres malades, quelle que soit leur pathologie.

Cette crise nous a obligés à transformer rapidement l’hôpital, en instaurant de nouveaux processus pour une meilleure efficacité. Nous nous sommes adaptés au fur et à mesure en anticipant, tout en gérant les ressources disponibles. Nous avons réorganisé les flux et augmenté la capacité d’accueil, tout en maintenant une structure et du personnel soignants adéquats. Pour toute la Suisse, les HUG sont devenus un centre de référence pour les dépistages et un centre de vaccination pour la population du canton de Genève. Nous avons également renforcé le soutien aux équipes médico-soignantes. Je souhaite d’ailleurs leur rendre hommage, car elles ont fait preuve d’un engagement sans failles au service de la communauté.

En ce début d’année 2022, alors que nous sommes en pleine 5e vague, les équipes de soins sont fatiguées. L’incertitude liée aux nouveaux variants, mais également la hausse constante des hospitalisations et les ressources qu’elles mobilisent, sont un défi majeur. Le plus rapidement possible, nous devrons redonner un rythme de travail normal aux équipes, maintenir un équilibre sain entre la vie professionnelle et la vie privée, ainsi que relancer des projets et des formations.

Soigner en priorité les patients atteints de la COVID, mais aussi ceux souffrant de pathologies graves et chroniques, faire face à la pénurie de personnel soignant et à l’insuffisance de lits disponibles constituent quelques-uns des défis à relever. Quels sont-ils précisément à court et moyen termes ?

A court terme, l’incertitude relative à l’évolution des hospitalisations est un défi. Vivre quotidiennement, depuis deux ans, cette situation d’instabilité est compliquée, car personne ne peut s’investir dans des projets institutionnels ou personnels. Nous faisons face à une 5e vague de COVID et, comme à chaque fois, nous devons annuler des évènements, repousser des projets, mettre en attente des formations professionnelles. Beaucoup se sont également investis émotionnellement, car les malades pouvaient être isolés de leurs familles. Ils ont été présents à leurs côtés. Je crains, à plus long terme, que ces situations difficiles n’entraînent des mutations profondes dans les professions de l’hôpital.

Depuis cette crise de la pandémie qui se révèle anxiogène, observes-tu une recrudescence de la détresse psychologique et même des troubles psychiques au sein de la population ?

Nous avons célébré cette année les 25 ans de notre partenariat avec la Fondation Children Action, qui est à l’origine de l’unité de prévention du suicide des adolescents/es appelée « Malatavie ». Un partenariat fondamental, car la COVID a mis en lumière l’importance de ce travail de prévention. Il est encore un peu tôt pour tirer des conclusions définitives sur la pandémie, mais en mettant un sérieux coup de frein aux contacts sociaux, le semi-confinement et son cortège de mesures ont certainement impacté la vie des adolescents/es et des adultes. 

Pragmatisme et consensus helvétiques

Quelles leçons de cette pandémie doivent tirer les autorités helvétiques, le système suisse de santé et les citoyens ?

La crise COVID aura eu le mérite de révéler à la population genevoise et au-delà que le système de santé suisse est robuste et qu’il fonctionne bien. A ce jour, nous n’avons d’ailleurs jamais été confrontés à des situations aussi dramatiques que celles qu’ont rencontrées par exemple l’Italie, la France ou l’Espagne. Cette crise a montré également la force du pragmatisme et du consensus helvétiques. Si des fractures d’opinion ont pu se révéler, notamment entre les antis- et les pros-vaccination, je ne pense pas que cette division persistera sur le long terme. Nous avons aussi pu observer la force du partenariat existant au sein du réseau de soins genevois, et surtout le soutien politique dont nous avons bénéficié. Malheureusement, je crains que cette crise n’ait aussi révélé de façon plus criante les défis qui nous attendent : le manque de main-d’œuvre qualifiée, une certaine course à la rentabilité, de nouvelles exigences des patients. Ces mutations existaient déjà avant la crise COVID, mais elles se sont exacerbées. Ce sont des défis fondamentaux que nous devrons affronter, particulièrement en tant qu’hôpital public.

Sur un plan général, comment évoluent la santé des Genevois et celle de tous ceux qui se font soigner aux HUG, autrement dit constates-tu une augmentation de certaines pathologies graves et quelles en sont les causes ?

Nous ne savons toujours pas quel sera l’impact sur le long terme de la COVID chez les patients/es qui l’ont contractée. Il sera important de mieux comprendre les effets d’une infection au coronavirus pour pouvoir établir des stratégies de traitement judicieuses. Nous observons déjà que certains anciens malades continuent de souffrir d’afflictions liées au virus, entre autres pulmonaires ou neurologiques. Il est à craindre que nous découvrirons rapidement que ces effets secondaires majeurs auront un impact sur les stratégies de santé publique. Au-delà de la COVID, des pathologies chroniques comme la dépression, les maladies cardio-vasculaires et le diabète restent des enjeux de société pour toute la communauté. Mais je souhaite terminer sur une note optimiste, à l’image de cette citation de Voltaire que j’ai fait mienne : « J’ai décidé d’être heureux parce que c’est bon pour la santé. »

Rot. Bertrand Levrat